Si le violon semble dominer largement la scène instrumentale européenne au xviiie siècle, il a fallu un peu de temps pour que le violoncelle se fasse une petite place à ses côtés. Ainsi, les violonistes de l’école italienne, celle de Corelli, de Tartini, furent souvent bien accueillis dans les salles de concert… C’est également dans le lignage de Corelli que nous entraînent Marco Ceccato et son Accademia Ottoboni, puisque quatre des compositeurs réunis dans ce disque consacré au violoncelle « sous » les deux cardinaux Benedetto Pamphili et Pietro Ottoboni furent des violoncelliste de « l’important l’orchestre que dirigeait Arcangelo Corelli à Saint-Louis des Français » : Giovanni Lorenzo Lulier, Nicola Francesco Haym, Filippo Amadei et Giuseppe Maria Perroni. La plupart d’entre eux furent également au service direct de Pietro Ottoboni, tout comme Bononcini, Pietro Giuseppe Gaetano Boni et enfin Giovanni Battista Costanzi.
La plupart de ces noms seront des découvertes pour les mélomanes. En effet, si Haym, célèbre comme librettiste, a été récemment illustré au disque, et si Bononcini — autre compositeur a avoir rejoint Londres, comme Händel et Haym — n’est pas tout à fait inconnu, seul Costanzi a réussi, récemment, à se faire une place au disque avec les deux enregistrements de Giovanni Sollima (Glossa). Et pour cause : comme le signale Marco Ceccato dans l’intéressant livret du disque, « il est étonnant de voir le petit nombre des compositions pour le violoncelle de leur main qui nous sont parvenues », s’illustrant davantage par des œuvres vocales. Ainsi, on n’en possède aucune de Lorenzo Lulier, de sorte qu’il est ici illustré par une transcription d’un charmant air de cantate, « Amor di che tu vuoi », originellement pour soprano, violoncelle obligé et basse continue, et ici pour deux violoncelles et basse. On ne regrette pas sa présence : il s’avère véritablement envoûtant et entêtant.
Dans l’ensemble, l’on reconnaît dans les huit sonates ici réunies un style que l’on pourrait qualifier de post-corellien, illustrant la dichotomie suonare (les mouvements vifs, enlevés avec une certaine virtuosité) et cantare (les mouvements lents, « chantants »). Pour autant, l’on n’est guère gagné par l’ennui à l’écoute de ce qui aurait pu n’être qu’une enfilade de sonates… Car il y a toujours un petit quelque chose qui plaît dans ces sonates, et les musiciens ont su le mettre en valeur.
En effet, c’est sans doute l’interprétation de l’Accademia Ottoboni qui donne à ces pages tout leur agrément. Marco Ceccato et son équipe ont soin de ne jamais chercher l’effet gratuit, mais donne à l’auditeur l’impression de l’enrober, de le chouchouter. La basse continue, réalisée par un deuxième violoncelle (Rebeca Ferri), un clavecin (Anna Fontana) et un théorbe ou une guitare, selon les pièces (Francesco Romano), sonne terriblement généreuse et montre qu’il n’est guère besoin de multiplier les effectifs pour parvenir à sonner copieux. Seul (petit) défaut : l’on pourrait souhaiter que le deuxième violoncelle se fasse parfois plus présent (par exemple dans certains passages du Grave de la sonate en la majeur de Perroni).
Quant à Marco Ceccato, sa virtuosité ne saurait être remise en cause, mais ce n’est pas par là qu’il séduit ; c’est plutôt par la chaleur du son, la fermeté du coup d’archet, la variété des attaques, la douceur du phrasé dans les mouvements chantants, la vivacité dans les mouvements vifs. Il n’a rien à prouver, mais tout à offrir. Les Adagio chantent sans pour autant faire tout un numéro. Que l’on écoute aussi l’Allegro de la sonate en ré majeur de Costanzi : c’est souriant, il y a là une sorte de simplicité et de brio débonnaire.
Il y a, dans ce qu’offre l’Accademia Ottoboni, une totale élégance dénuée d’ostentation, et quelque chose de résolument plaisant, rassérénant, mais jamais ennuyeux. On apprécie ce jeu fait d’éclat, oui (l’implacable Presto de la sonate de Haym), mais aussi de maintient (la courante Allegro alla francese de la sonate en sol mineur Boni), de charme du phrasé (Adagio ed affetuoso de la sonate en la majeur de Perroni, ou, parmi les mouvements vifs, l’Allegro de la sonate en la mineur de Bononcini), d’un mouvement qui semble inviter à se balancer doucettement (le menuet grazioso qui suit)… Et le tout sans jamais appuyer, sans insister.
Seuls regrets, deux petits défauts de montage. D’abord, il aurait fallu laisser une petite pause entre les sonates, pour donner à l’auditeur l’occasion d’entendre qu’il passait d’une sonate à une autre. Ensuite, certaines fins de mouvements semblent coupées un peu trop tôt, sans laisser toute sa place à la résonance.
Ces détails n’entament toutefois pas le plaisir simple qui accompagne ce disque séduisant, fort belle contribution au répertoire du violoncelle.
Loïc Chahine